JACQUES  LE  NANTEC

SCULPTEUR


Bref  résumé mythologique


On se rappelle que la Grecque Aphrodite était devenue Vénus à Rome, mais ce qu'on sait moins, c'est qu'elle dut s'y contenter dès lors d'un rôle plutôt secondaire, tant était rude la concurrence entre les starlettes divines, qui s'appropriaient sans vergogne les postures et les pouvoirs les unes des autres.


Pour l'anecdote, le culte d'Aphrodite était d'origine phénicienne et c'est en passant par Chypre (et bien sûr Cythère) qu'elle avait conquis la ferveur des Grecs. Elle n'était alors qu'une déesse de la Fécondité, bien avant qu'elle ne devint celle de l'Amour, grande hétaïre inspiratrice de toutes les lubricités et régnant sur l'Empire des Sens, fût-il celui des dieux ou des simples mortels… mais non sans qu'elle tentât déjà d'empiéter… sur les prérogatives de la Grande Athéna !

Zeus lui-même, tandis qu'il la prenait sur ses genoux, l'en avait avertie: "Ce n'est pas à toi, mon enfant, qu'ont été attribuées les choses de la guerre: occupe-toi des douces oeuvres de l'Hymen."


Quant à ses origines mythiques, elles n'étaient pas non plus sans cocasserie. Après que Cronos eût émasculé son propre père et jeté à la mer les virils débris,il s'en dégagea une écume (aphros) d'où naquit la déesse anadyomène, littéralement "sortie des eaux".

Faisons grâce au lecteur des multiples épisodes de la vie galante de la Belle Aphrodite. Nous n'en retiendrons qu'un, celui du Jugement de Pâris, qui, plutôt qu'à Héra ou à Athéna, choisit de remettre à notre héroïne la pomme du Prix de Beauté, après qu'elle eut, pour lui, dévoilé sa plus tendre intimité. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

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Dessin de Debay, 1821.

Un projet


Autant le dire tout net : je n'ai pas un goût prononcé pour la Vénus de Milo. Malgré toute ma bonne volonté, je ne lui trouve aucun attrait féminin…excepté ses petits seins d'adolescente, hélas si peu en harmonie avec le reste de sa masse.

C'est  précisément ce qui piqua ma curiosité et me poussa à entreprendre un "démontage anatomique" du mythique chef d'oeuvre.

Après de nombreux dessins,  je pris le parti de mener ma recherche en trois dimensions.


Le «document»


Mais pour m'assurer une parfaîte objectivité, je songeai à me procurer au Louvre la reproduction la plus exacte. Hélas, les éditions d'aujourd'hui –en résine–  ne dépassent pas les 50 cm.

C'est alors que j'eus la chance de découvrir un ancien tirage en plâtre, à l'échelle ½, et conservant la trace intacte des "coutures" d'origine laissées par les bons vieux moules-à-pièces, avant qu'on eût recours à la souplesse des élastomères.

Petit bémol: les ouvriers du Louvre, pour faciliter l'ouverture du moule, avaient déjà pratiqué des ragréages souvent … hasardeux. Après de soigneuses vérifications, j'acquis pourtant la conviction que dans son ensemble, la pièce restait bien conforme à l'original. Je me sentis dès lors pleinement habilité à poursuivre mon travail.

Un peu d'histoire


A propos de la sculpture, celle du Louvre, on situerait sa création un peu avant le Ier siècle avant notre ère. Tout au plus a-t-on pu établir qu'elle était non pas l'oeuvre de Praxitèle, mais d'un certain Alexandre (Aguésandros) natif d'Antioche. Son nom était gravé dans le socle aujourd'hui disparu.


C'est en 1820 qu'elle a été découverte, lors d'excavations dans un champ de l'île de Milos. Les deux éléments principaux, le torse et le drapé étaient détachés et non brisés, puisque, suivant l'usage antique, plusieurs blocs de marbre étaient assemblés avant qu'on en pratiquât la taille. Des fragments, par ailleurs, auraient été trouvés: on garde en particulier le souvenir d'une main gauche tenant une pomme … tous ont étés perdus, hélas, au cours des longues péripéties du transport. Les bras, en tout état de cause, manquaient déjà!


Tel qu'il les avait acquises, non sans mal d'ailleurs, le Musée du Louvre fit procéder à l'assemblage des deux parties du marbre, puisqu'aussi bien l'on n'essaya pas de reconstituer la Vénus de Milo, ainsi baptisée désormais pour le public. Mais la pièce, haute de plus de deux mètres, fit l'objet d'une promotion toute particulière, devenant l' une des figures emblématiques du Musée…qui dans le même temps, et sans excès de gloire, avait dû restituer à l'Italie plusieurs de ses joyaux…

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Premières observations

. La base (aussi dénommée plinthe ou terrasse) peut poser question. En effet, sur la réplique, elle n'est plus cassée en biseau comme sur l'original, mais prolongée verticalement, au droit de la retombée du vêtement.


Mais, tandis que le pied droit repose sur la base avec une marge tres normale, le gauche –celui qui manque, donc–  semble avoir été conçu pour s'appuyer… dans le vide, aggravant ainsi l'effet d'une insolite dissymétrie.

Or si l'on prolonge les lignes de la base, on obtient un trapèze dont l'élargissement laisse autour du pied gauche la place requise latéralement (seuls les orteils feraient saillie sur l'arête frontale), mais en outre dégage l'implantation du pilier hermaïque dûment indiquée par le dessin de Debay .


Ainsi serait rétabli l'équilibre naturel, escamoté sur la reproduction. Faut-il rappeler que c'est au Louvre-même qu'avait été perdu le morceau manquant de la base? Une manière, en quelque sorte, de faire oublier les détails qui fâchent…


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On notera aussi page suivante que loin d'être l'effet d'un accident, les deux éléments ont été volontairement séparés à coups de masse de carrier.

Un processus de destruction sans doute interrompu par quelque évènement imprévu: les morceaux semblent avoir été hâtivement enfouis sous un tas de pierraille, tels qu'on les découvrit en 1820.

. Les deux blocs

De face comme de dos, on distingue l'horizontalité de la ligne de jonction entre les deux blocs de marbre.


. Le dos

On ne saurait douter que la pièce devait être adossée à une paroi, peut-être même incluse dans une niche. A preuve, la négligence du rendu de l'arrière du drapé, réduit à la répétition sommaire de plis parallèles et équidistants.

De plus, on n'a même pas cherché à dissimuler le bossage de consolidation (B) qui jouxte l'arrière du pied droit.

L'original

Exemple de pilier hermaique


La copie commerciale du Louvre


Le point d'impact .

Les morceaux éclatés, les bords des deux blocs disjoints sont massacrés.

Ci-contre: les morceaux assemblés au Louvre en 1821 et laissés en l'état sans qu'on osât tenter une restauration: une sage précaution.


Malheureusement, sur la reproduction commerciale, on s'est autorisé un colmatage pour le moins fantaisiste.


Pour développer la recherche, il fallait à présent ôter le drapé. Maillet et burin en main, je commençai la mise à nu en suivant les courbes des hanches et en les reliant méthodiquement aux points de contact avec le corps.

Deshabiller la Venus de Milo

Il devenait clair que le sculpteur grec avait passablement comprimé l'épaisseur des jambes en les enserrant, dans les creux des plis, pour créer l'illusion d'optique qu'elles fussent plus minces et plus longues.

Par contre, ce n'est pas sans surprise que je découvris qu'il manquait un important morceau de la fesse gauche (ci-dessous). Mais cette fois, l'artiste n'était pas en cause, la responsabilité en incombait aux défauts de la Reproduction.

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Ci-contre, la fesse "incomplète".


Bien visible, la compression interne des plis du drapé.


Schématisées, les étapes de la découverte et de la reconstruction

Cette expérience révèle de curieuses disparités :


Les seins, petits et haut plantés sont ceux d'une très jeune fille, mais reliés par des abdominaux de culturiste à des hanches de matrone.


Les pieds, du moins si l'on s'en réfère à celui resté intact, sont, contrairement à tous les usages de la Statuaire, une fois et demie plus longs que le visage !


Le volume de la tête est très inférieur à la norme des 1/7 èmes du corps, sans doute pour conférer à la Déesse le prestige d'une taille élevée. On peut douter en effet que des "top-models" de plus d'un mètre quatre-vingt eussent pu enchanter, il y a quelque deux mille ans, les rives de la Méditerrannée...

La Venus ... nue


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L'aviez-vous vue comme ça?


L'essai de restauration


Reprenant une épreuve moulée de la reproduction initiale, j'entrepris, avec toute la patience requise, à la fois de réparer les brisures subies par le drapé et d'évacuer les rebouchages hasardeux commis par les mouleurs. Mon souci majeur étant de rester le plus possible fidèle au style d'Alexandros.

Je refis aussi un pied et le départ d'un bras gauche conforme à la fois à l'Anatomie et au dessin de Debay de 1821.


Une surprise, tout de même: ce drapé bien net avait comme perdu de son romantisme, une fois effacées les blessures subies par le marbre.


Il est à souligner combien les mutilations accidentelles ou iconoclastiques ont été, pour bien des oeuvres antiques, la plus valorisante des aubaines!  Ainsi "évacuées", les signifiances quelquefois anecdotiques ne font plus obstacle à ce que soit perçu de manière intemporelle le meilleur de la plastique des sculptures.


Restait à tenter de retrouver les gestes perdus de la  Plus Célèbre des Manchottes.

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Les bras: une greffe difficile


Bien des experts ont avancé des hypothèses contradictoires et souvent irréalistes pour ne pas dire farfelues et qu'il serait fastidieux d'énumérer ici.


S'agissant du bras droit, celui dont la coupe est nette, l'opinion la plus courante est qu'il devait retenir le peplôn à hauteur de la hanche opposée...ou plutôt en esquisser le geste, car il ne reste sur le drapé  aucune empreinte -- pas la moindre-- qu'auraient pu y laisser des doigts: au demeurant, il est assez habilement noué pour tenir sans aide !


A propos du gauche et, assez paradoxalement puisqu'il est arraché à l'épaule, il reste aisé d'en déterminer l'orientation car les départs du pectoral et du deltoïde sont parfaitement visibles. Le dessin de Debay, réalisé avant la brisure survenue lors d'un einième transport, est anatomiquement correct.



J'ai fait prendre à un modèle de nombreuses attitudes, mais la seule qui me parût satisfaisante était celle du bras gauche tendu tenant la fameuse pomme, le bras droit accompagnant le geste de la Déesse pour désigner son trophée aux témoins vers lesquels s'oriente son regard.


En tout état de cause, les deux bras peuvent être prolongés chacun sans risque d'erreur jusqu'à la pliure du coude. Au-delà, tout se complique, puisqu'on ne connait ni l'angle de flexion, ni le sens de torsion des couples radius-cubitus dont les  nombreuses combinaisons rendent aléatoires les gestes qui en résul-tent pour les avant-bras.

L'énigme des avant-bras

FLEXION

FLEXION

ROTATION

ROTATION

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Une reconstitution complète eût requis que le socle fût prolongé et réhaussé sur son côté gauche, tel que l'avait représenté Debay. Mais du même coup, inventer le pilier hermaïque qui s'y encastrait eût été de pure fantaisie, en l'absence de tout document de référence.


Mon essai de reconstitution


Je me suis donc  contenté d'en faire un dessin.


La pièce intégrale

La délimitation des pièces à casser

Le raccordement

La Venus nue: une projection sans complaisance ni dérision

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LA  VENUS DE MILO

REVISITEE PAR

LE NANTEC

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